Je reviens
C’est une histoire d’amour, quoi d’autre que l’amour ?
Un ado, fragile comme le sont tous les adolescents.
Amoureux bien sûr. Bien sûr triste.
Ça va ensemble un temps, mais sans équilibre.
Il y a tous les désespoirs, les tristesses,
Assis sur les bancs qui jallonent cet âge.
C’est l’âge où on s’assoie après chaque pas.
On béquille tous les déséquilibres des trop de questions.
Les penchants dangereux des réponses mélancoliques.
La tristesse est si grande qu’elle en est magnifique.
Hypnotisé par la douleur, l’ado pense qu’il n’y résistera pas.
Nous savons que oui. Nous y sommes passés, et c’est passé.
Tout va bien finir, rassurez-vous.
C’est le récit d’une tempête traversée. Passée.
Mais on sent encore la douleur, soulagé et nostalgique.
Quel autre sentiment aussi fort que celui-là ?
Quel autre âge si intense que celui-ci ?
Puis sûrement, forcément, des conflits.
Avec les autres, tous les autres.
Et intérieurs. Violences. Suicides nombreux. Y penser.
Façon de résister, d’en sortir vivant mais non indemne.
L’adolescence est l’âge des amours suicidaires.
Il y a de la solitude. De la foule. De la joie. De la tristesse. De la poésie.
Des blessures. Des révélations. Des déceptions. Des surprises. Des matins.
Des après-midi. Des dimanches. Des dimanches soirs. Des vacances.
Des mégots. Du bitume. De la pluie. Du soleil. Des baisers.
Tout cela, s’enchainant, se suivant, trop puissant chacun pour cohabiter.
Et il y a des cailloux pour jeter à la face de chacun de ces sentiments.
L’adolescent souvent ramasse des pierres et en bourre ses poches.
Ça peut servir.
Ou alors il les pousse du pied, les écarte du chemin.
Ça sert aussi.
En tout cas il chemine.



Monter c‘est pour certains un moment de répit et pour d’autres un poids de plus à leur fatigue. Pas d’ascenseur. Même la taille de l’immeuble a quelque chose de fade. Pas assez haut pour que ce soit utile. Déjà bien assez pour que certains s’en plaignent. Pour ma part j’ai eu mon compte d’ascenseurs dans les tours qui ceinturent le quartier pour jouer un temps à faire râler les gens en bloquant les portes ou faire des courses de vitesse avec les copains, en montée, en descente, un étage ou plusieurs. Nombreux les défis, les compétitions. Pas moins grands les honneurs, les poumons éclatés et les genoux sciés. Avantage alors à ceux des barres de béton aux escaliers obligatoires. Nous savions grimper quatre à quatre et presque allongés les lignes d’un faux marbre que nous connaissions par coeur. Chacun y posait son énergie, y laissait son écho de rire et de cris qui les transformaient alors en événement, en pays presque, petits territoires jallonés d’émotions. Et pour descendre l’ascenseur perdait toujours, quelque soit le nombre d’étages. Celui qui courait prenait, lui en revanche, de plus en plus de risques, entrainé par son élan, évitant les croches-pattes de la fatigue, deux pas comptés par palier et un bond par étage, main frôlant la rampe pour faire semblant de maîtriser un peu.
De haut, c’est sûr tout cela devait ressembler à un grand sourire, à une gueule ouverte, aux tours de canines et barres d’incisives, avec une grande langue d’escalier chatouillée par nos pas, une gorge sonore jusquà la glotte. Mais jamais je n’ai pu monter assez haut pour le voir. Et c’est maintenant la distance des années qui me permet de le visualiser. Ce temps qui m’écrasait alors et m’étire aujourd’hui. D’un pied nerveux je le piétinais à chaque mégot, insolent, conscient pourtant de le tuer à chaque bouffée. Je ne fume plus. Mais toujours insolent je le défis en écrivant.